Cela aurait dû faire beaucoup de bruit, mais finalement la nouvelle a été assez discrète : une société israélienne aurait réussi à cultiver l’arganier. La volonté affichée de produire de l’huile d’argan en grande quantité va certainement changer la donne du marché, où s’affrontent, comme le titre « A View from Fez« , Greed and ethics, la cupidité et l’éthique, reprenant un article du Guardian.
C’est une rumeur qui courait depuis quelques temps, et qui vient de se transformer en communiqué commercial. Alors qu’on croyait l’arganier impossible à cultiver en dehors du Sous, et même impossible à « cultiver » tout court, l’annonce de la culture de 2.500 arganiers en plein désert israélien (Ashkelon et Neguev principalement) a de quoi perturber et effrayer les marocains, inquiets devant une possible déferlante qui pourrait tarir la source de l’un des deux « ors berbères », l’autre étant le safran.
A qui profite réellement l’huile d’argan ?
Je me souviens de m’être littéralement décroché la mâchoire en voyant, en 2007, l’huile d'argan en vente dans une épicerie allemande, au prix hallucinant de 130 euros le litre alors qu’il se vend environ 30 euros au Maroc ! L’huile d’argan a suscité énormément de convoitises, et les distributeurs et exportateurs ont très certainement fait nettement plus de profits que les femmes employées dans les coopératives d’huile, au salaire quand même très bas de 40 dirhams / jour. Certes ce revenu est loin d’être négligeable, et permet pour beaucoup de familles d’échapper à la pauvreté (à titre de comparaison, le seuil de pauvreté relatif au Maroc est autour de 2,5 dollar / jour et on estime que 10% à 30% de la population vit en dessous ou juste au niveau de ce seuil, surtout en zone rurale). Néanmoins, il est de 50% inférieur au salaire minimum, pour un travail qui reste pénible, même si il ne demande pas de qualification particulière.
Surtout, au Maroc, c’est la frénésie de l’huile d’argan. On trouve partout dans le pays, même dans le nord et dans le Rif, ou au milieu de l’Atlas sur la route de Tichka, des pseudos coopératives d’argan, qui extrairaient l’huile de noix achetées auprès des producteurs, dans le Sous. Rien n’étant bien sûr moins vérifiable, surtout par les touristes, le plus souvent en circuit organisé, qui s’arrêtent dans ces coopératives sous la houlette de leur guide.
En même temps, les coopératives n’ont jamais réellement réussi à s’unir, et le GIE Targanine n’a jamais regroupé que quelques coopératives parmi la grosse centaine qui existent (et son site n’est pas mis à jour depuis fin 2010), malgré le charisme de Zoubida Charouff.
L’huile d’argan israélienne, c’est quoi ?
Si on va sur le site de la société productrice, on découvre en réalité qu’il s’agit d’une noix produite par un arbre hybride, issu de pollinisation croisée. Bien que cette technique soit tout à faite acceptable et naturelle dans le domaine agricole, il n’est pas certain que les « arganiers » produits soient exactement identiques à l’arganier marocain.
Plus troublant, bien que l’huile soit mentionnée comme « bio », ou « organic », on ne trouve sur le site, ou sur les photos d’emballages des produits aucun label bio (AB Bio ou Ecocert, par exemple). (Alors que le Maroc propose maintenant à travers ses coopératives des produits certifiés).
Surtout, ce qui est très curieux, c’est que cette huile, alors qu’elle devrait être normalement moins chère que l’huile marocaine (puisque selon la société, les processus sont mécanisés, et que le fait de planter des arbres devrait diminuer les difficultés d’approvisionnement en matières premières), en réalité elle crève le plafond, à … 200 euros le litres (cf la bouteille à 50 euros les 250 ml).
A ce prix là, on peut douter que l’argument de la société israélienne de « relâcher la pression sur la réserve d’arganeraie et préserver les arbres marocains » corresponde à une réalité quelconque !
L’avenir de l’huile d’argan au Maroc
Une appellation d’origine contrôlée et la certification bio
L’association Amigha, qui porte l’Indication Géographique Protégée certifiée par l’association internationale Origine depuis début 2010. Le Maroc a développé une politique de valorisation de sa production agricole, de ses atouts, comme le safran et l’huile d’argan.
Les coopératives sont encouragées à faire certifier leurs productions, et tout est mis en oeuvre pour leur faciliter le processus, avec notamment l’installation de laboratoires de certification à proximité des lieux de production.
La protection de l’arganeraie
L’arganeraie, qui était menacée de disparition (notamment à cause du besoin en bois, la densité de l’arganeraie avait chuté de 100 à 30 arbres à l’hectare), est maintenant une Biosphere Protégée par l’UNESCO, des mesures de protection ont été mises en place, et le gouvernement marocain prévoit de quasiment doubler la production annuelle d’argan à l’horizon 2020. Des mesures similaires ont d’ailleurs été mises en place pour protéger la forêt de thuyas d’Essaouira.
Culture ou non ?
La femme qui a « inventé » l’huile d’argan au Maroc, et lancé les premières coopératives, Zoubida Charrouf, est une chercheuse reconnue sur le plan international, et la présidente de slow food Maroc. C’est aussi une passionnée qui a conscience de la façon dont l’huile d’argan a aidé les femmes de la région. Elle cherche aujourd’hui a faire avancer la recherche agronomique, et à améliorer autant que possible la culture de l’arganier. Ce qui a pu être réalisé par une société israélienne aurait dû être fait au Maroc. Mais le mythe de la non cultavibilité de l’arganier permettait de faire flamber les prix…
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