Avec treize jours de "retard", en réalité fidèles au calendrier julien, c'est aujourd'hui que les amazighs fêtent la nouvelle année. C'est ainsi qu'on s'aperçoit que beaucoup de traditions berbères peuvent être rattachées à l'époque romaine, en tout cas avant l'islamisation. Ainsi, leur calendrier, dont les noms sont dérivés des noms romains et ont remplacé d'autres noms, plus anciens, dont on trouve encore la trace dans des écrits touaregs du Moyen Âge :
Mois | Anciens noms | Signification supposée | Chleuh (Sud Marocain) | Arabe marocain |
---|---|---|---|---|
Janvier | tayyuret temzwarut | première lune | innayr | yennayer |
Février | tayyuret tenggwerat | dernière lune | xubrayr | febrayer |
Mars | yardut | mars | mars | |
Avril | sinwa | ibrir | abril | |
Mai | tasra temzwarut | premier gardiennage de troupeau | mayyuh | mayou |
Juin | tasra tenggwerat | dernier gardiennage de troupeau | yunyu | younyou |
Juillet | awdayeɣet yemzwaren | Les premiers antilopins | yulyu | youlyouz |
Août | awdayeɣet yenggweran | Les derniers antilopins | γuct | ghoucht |
Septembre | awzimet yemzwaren | Les premiers petits de la gazelle | cutanbir | choutanbir |
Octobre | awzimet yenggweran | Les derniers petits de la gazelle | kṭuber | ouktoubr |
Novembre | ayssi | duwanbir | nuwanbir | |
Décembre | nim | dujanbir | dujanbir |
(Source : Wikipedia)
En fait, avant le passage au calendrier julien, le calendrier berbère avait déjà subi plusieurs modifications, l'année berbère, passant de 304 à 355 jours. Lors de la réforme qui mit en place le calendrier julien, en 45 avant JC, une partie du Maghreb était déjà colonie romaine, et le nouveau calendrier s'imposa naturellement.
C'est d'ailleurs loin d'être la seule trace "romaine" dans les pratiques culturelles berbères : certaines traditions d'Achoura, comme le carnaval de Goulmima rappellent énormément les lupercales romaines, et certains carnavals du Moyen Âge européen. La "magie du plomb", largement pratiquée, attribuée aux arabes, est en réalité une héritière des magies chtonique liées aux Enfers et à Saturne.
Bref... quoiqu'il en soit, le Maroc berbère fête aujourd'hui sa nouvelle année. Les hasards du calendrier veulent que demain, ce soit le Mouloud, l'anniversaire de la naissance du Prophète, et qu'il soit un jour férié. (Tout comme l'est, désormais, le nouvel an "grégorien", qui reste malgré tout peu fêté au Maroc).
La célébration traditionnelle du Nouvel An Berbère
La célébration du Nouvel An est marquée par des rites et des symboles visant à assurer une année féconde et heureuse. Dans la région du Sous, on appelle ce repas spécial "Tagwlla". L'idée qui sous-tend ces rituels est que l'on va passer l'année à venir comme son premier jour : il est donc important de faire un repas riche et abondant. En revanche, on évite de manger trop épicé, ou des aliments amers : le sucre, le miel et l'amlou sont à l'honneur ! (Il existe même, dans certaines régions berbères, une version du couscous où la sauce est remplacée par l'amlou).
Dans beaucoup de régions, on sacrifie au moins un coq sur le seuil de la porte. En théorie, il faut sacrifier un animal par adulte de la maison, coq pour les hommes, poule pour les femmes, et aller jusqu'à un coq et une poule pour les femmes enceintes, pour étendre la "protection" au bébé à naître. Dans les grandes familles berbères,rares sont ceux qui peuvent se permettre autant de sacrifices, et on remplacera alors les animaux par des oeufs durs, déposés sur la semoule du couscous (couscous aux sept légumes), et couronnés d'une petite galette de pâte. Les membres de la famille qui ne peuvent pas assister au repas sont "représentés" par une cuillère, et on ne mangera pas leur part, là encore pour leur permettre de bénéficier des effets bénéfiques de ce rite.
Il reste essentiel de sacrifier au moins un coq, pour manger de la viande à ce repas. Ceux qui ne peuvent même pas se le permettre utiliseront de la viande séchée conservée d'une autre occasion. Il s'agit de viande de boeuf salée, épicée et séchée, qu'on appelle en berbère acedluh.
Si on rajoute qu'on va cacher un noyau de date dans le plat, et que celui qui le trouve va être chanceux toute l'année (à tel point que c'est à lui qu'on confie les clés de l'agadir, le grenier fortifié de la tribu), on voit d'étranges similitudes avec la célébration "chrétienne" de l’Épiphanie, elle-même héritée des Saturnales romaines.
Enfin on raffole des assortiments de fruits secs : noix, amandes, qui rappellent, là encore une tradition "bien de chez nous", les "Mendiants" de Noël.
J'ai par contre trouvé sur un site algérien la description d'une tradition dont je n'ai pas entendu parler au Maroc : le dernier né est mis dans une grande jatte vide, et on verse sur lui les fruits secs et les bonbons que se partagera ensuite la famille.
La célébration de Yennayer aujourd'hui
Elle a été remise à l'honneur avec les revendication amazigh, particulièrement à partir de 1991. C'est donc aujourd'hui une fête qui dépasse largement le cadre familial et de nombreuses célébrations sont organisées dans tout le Maroc. On trouve par exemple sur le site Amazighnews l'annonce de quatre d'entre elles :
- deux jours de fête à Tiznit, avec le fameux Saghru Band
- une célébration avec couscous et groupes folkloriques dans la région de Sefrou
- une soirée dans un club, près d'Inezgane
- la fête des Mille Saveurs, organisée par des étudiants et professeurs de l'université Ibn Zohr d'Agadir
- etc.
Nous vous souhaitons donc une bonne entrée dans l'année 2964 !
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