Cette année, l’Aïd a été pluvieux à Tazzarine, et c’est la meilleure chose qui puisse arriver !
D’autant plus que les orages ont eu la politesse d’éviter le matin de l’Aïd même, la grande prière et le sacrifice. Il aurait été dommage que les superbes caftans et les djellabas toutes blanches aient été souillés par la boue qui accompagne toute pluie dans ces oasis à la terre argileuse desséchée après l’été.
A lire ce blog, vous allez croire qu’il ne fait que pleuvoir au Maroc ? Bien au contraire, c’est justement pour cela qu’on remarque la pluie et qu’on éprouve le besoin d’en parler, comme d’une chose merveilleuse.
Le temps était chaud à Tazzarine, autour de 30°, l’air sec et chargé de poussière. A plusieurs reprises de petites gouttes étaient tombées la veille de l’Aïd, juste de quoi plaquer au sol la poussière que le vent précédant la pluie avait fait voler.
La matinée fut splendide. La grande prière avait eu lieu sur un terrain aménagé, comme chaque année, devant la mosquée, réunissant les hommes et de nombreuses femmes (qui d’habitude ne vont pas à la mosquée).
A partir de neuf et demie, les courtes visites des voisins avaient commencées. Confortablement installée sur une banquette directement sous la fenêtre, j’avais un point de vue incomparable pour voir les groupes arriver, hommes et petits garçons en djellabas blanches, petites filles et femmes en atours brodés, jupes aux multiples plis ondulant sous les grand foulards noirs brodés de laines vives qui sont caractéristiques de cette région du Draa.
La visite elle-même était des plus courtes, le groupe entrait dans le salon, se déchaussait soigneusement, faisait le tour des mains tendues (les nôtres), nous souhaitant mutuellement « Mabrouk El Aïd » à la chaîne, les petits plongeaient ensuite la main dans les grands plats de cacahouètes, amandes et petits gâteaux tenus à disposition, puis tout le monde repartait sans s’arrêter, pour aller dans la prochaine maison, chaque famille devant ainsi rendre visite à tout le village…
Les moutons avaient, comme d’habitude, subi leur sort, sans trop de protestations, et le groupe des hommes, boucher venu nous aider compris, s’était retrouvé autour d’un tajine pour se refaire après l’effort, tandis que les femmes, débarrassées des caftans, sayas (jupes) et takchitas de fête se retrouvaient en vêtements de travail pour traiter les carcasses, d’abord les abats, qu’il faut préparer au plus vite, les têtes et les pieds qui allaient être bouillis et grillés pour les premiers tajines, puis la viande proprement dite « tifiyeh », mangée en brochettes grillées, ou préparée avec du sel et des épices pour être conservées.
Dans le courant de l’après-midi, on voyait de temps en temps passer des nuages dans le ciel, qui donnaient au moins une ombre bienvenue, mais c’est le soir, vers 23 heures, que la première pluie véritable est arrivée.
En djellaba légère, je me suis installée devant la porte, sur un petit tabouret, pour me faire mouiller peu à peu par les gouttes, profitant du vent et du paysage. La lune n’était pas complètement masquée par les nuages poussés par le vent, et elle éclairait le paysage avec une force qu’on oublie quand on est en ville… Au loin, on voyait la silhouette sombre du Saghro sur laquelle des éclairs éclataient, assez rapprochés, sans que l’orage arrive véritablement. Au bout d’une demi-heure, j’étais rafraîchie, mais pas véritablement mouillée, et la pluie avant cessé.
C’est le lendemain, en début d’après-midi, que l’orage a éclaté sur Tazzarine. Deux heures de grosse pluie, des torrents miniatures qui dévalaient à travers les allées intérieures des maisons adossées au flanc des collines et qui menaçaient même, parfois, d’entrer dans les salons, sans que personne ne s’en soucie réellement. L’eau est avant tout une bénédiction, un petit peu de boue, tant qu’il n’y en a pas trop, se nettoie très facilement, le plus gros problème était d’empêcher les enfants, encore en habits blancs de fête, d’aller faire ce qu’ils préfèrent dans ce cas : sauter dans les flaques !
L’eau qui coulait dans les allées des douars s’est retrouvée au centre de Tazzarine, dans l’oued à l’entrée, qui n’est, d’habitude, qu’un énorme lit de sable et de graviers. Elle a été détournée vers la palmeraie par tout un réseau de canaux d’irrigation, qu’on appelle les seguias, capturée dans les parcelles où les palmiers avaient les pieds dans l’eau. Les hommes partaient, équipés de grosses bottes de caoutchouc, pour maitriser la boue, ouvrir quelques seguias secondaire, à coup de pioche : c’est ainsi que cela se pratique dans les oasis, on répartit l’eau, selon un droit attaché à chaque parcelle, les canaux sont ouverts, puis fermés, soit à coup de pelles pour déplacer un peu de terre, soit avec des planches de bois.
A plusieurs endroits, la route avait été recouverte par ces torrents violents venus de la montagne, transformée en piste recouverte de terre et de cailloux sur quelques mètres. Il avait beaucoup plu sur le Saghro, et malheureusement, au pied de la montagne, la violence des oueds a détruit des maisons. Le Sagho ne fait pas partie des régions où l’eau est canalisée par des barrages. La différence entre le flot boueux et remuant de l’oued et le calme du fleuve Draa à Tansikht était impressionnante (le Draa, lui, est régulé par des barrages).
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