Le Maghreb, et tout particulièrement le Maroc, est remarquablement bien représenté dans le catalogue d’une vente aux enchères qui se tiendra à Drouot, le 5 mai 2015. En effet, sur 312 lots, 150 sont originaires du Maghreb, et parmi ceux-ci, 90 du Maroc, soit presque un tiers de la vente !
En très grande majorité, il s’agit de bijoux berbères, essentiellement en argent. Si certaines pièces Kabyles sont dorées, les bijoux marocains présentés sont en argent, parfois émaillé, parfois décoré de corail. On trouve aussi quelques grands colliers d’ambre.
Les prix des lots restent relativement bas, entre 200 et 1.200 €. Il faut savoir qu’il est extrêmement difficile de dater avec précision un bijou berbère : les bijoux sont autant un élément de parure qu’un patrimoine, on n’hésite pas à les fondre en cas de besoin, puis à en racheter de nouveaux, une fois la prospérité de retour. Et les mâalems (artisans bijoutiers) reprennent les mêmes motifs traditionnels, sans que ceux-ci évoluent de façon visible dans le temps.
Il est donc beaucoup plus facile, paradoxalement, de dire d’où vient un bijou que de préciser quand il a été réalisé !
Le deuxième point, c’est qu’il est fréquent dans les enchères, que le prix auquel un lot est réellement adjugé soit largement supérieur à l’estimation : celle-ci est plus une « mise à prix » qu’une valeur réelle du bijou.
Ceci dit, passons à travers quelques unes des belles pièces de ce catalogue !
Le collier Loubane des Aït-Atta
Bien que celui-ci soit rattaché à la tribu Aït Atta, en réalité c’est dans tout le Maroc que les femmes portent ces colliers imposants faits, à l’origine, de grosses perles d’ambre fossile, d’où leur nom. Les petits morceaux d’ambre sont chauffés, fondus, pour être agglomérés en grosses perles, comme ici. Cela leur fait perdre leur transparence.
Malheureusement, dans les versions modernes, les morceaux d’ambre irréguliers, comme ici, sont remplacés par de grosses perles en plastique, parfaitement rondes, sur lesquelles on voit la trace du moulage !
Les perles sont séparées les unes des autres par des petites rondelles de feutre, et le collier est fermé avec des pompons de laine aux couleurs autrefois vives !
Ce collier est estimé entre 800 et 1.200 €
Loubane, gomme arabique, encens, copal, ambre gris…
Entre tradition et traduction, il y a beaucoup de questions régulièrement posées sur ce qu’est réellement le loubane et beaucoup de confusion.
« Loubane » en arabe, désigne deux choses différentes :
- la résine d’un arbre, le Boswellia, dont on tire l’encens. En particulier, l’encens Yéménite, qui est très réputé. Cette résine, qu’on appelle aussi la gomme arabique, est assez claire, mais, selon les conditions de récolte, peut aller jusqu’au jaune intense. Cet encens fait partie des mélanges parfumés utilisés partout lors des cérémonies au Maroc, jeté sur les charbons d’un brasero
- l’ambre végétal, fossile, classique. On parle alors de « Loubane Dakhar« , ou de « Loubane El Hour » (ambre pur, ambre mâle), en tout cas au Maroc.
… car, et c’est là tout le plaisir des « dialectes » par rapport à l’arabe classique, dans d’autres parties du monde arabe, ce Loubane Dakhar désigne l’encens yéménite. Au Maroc, l’encens tiré de la gomme arabique sera tout simplement appelé « Loubane ».
Enfin, pour tout compliquer, mais là en français, il existe une troisième matière, qu’on ne commercialise plus maintenant dans sa forme naturelle, l’ambre gris. C’est une déjection de cachalot, qu’on ramassait sur les plages, qui a une couleur grise et qui dégage un parfum intense. Cet ambre gris s’appelle, en arabe …عنبر et qui se prononce « ambar » !
… Et on avait l’habitude, autrefois, d’intercaler des petites perles d’ambre gris (ambar), odoriférantes, entre les grosses perles d’ambre végétal (loubane), qui n’ont jamais dégagé une telle fragrance.
(Roger Martin du Gard évoque un de ces colliers « Il jouait avec son collier, dont les grains de miel étaient séparés par de petites boules d’ambre gris, couleur de plomb, qui tiédissaient sous ses doigts, et exhalaient alors un parfum si tenace qu’il n’était pas rare, deux jours plus tard, d’en retrouver l’arôme au creux des mains.« )
Aussi, à cause du souvenir de l’odeur de ces colliers, on confond souvent le Loubane « fossile » avec le « Loubane encens », seul capable de rivaliser avec l’ambre gris. Sur la première photo de l’article, je pense que les deux perles « toutes moches toutes grises » sont de l’ambre gris.
Et le copal ?
Le copal est une résine fossile, tout comme l’ambre, mais il ne provient pas des mêmes végétaux. L’ambre provient des conifères, que ce soient des des forêts baltes ou du Liban, le copal provient d’angiospermes, c’est-à-dire de plantes à fleurs. Dans la nature, ils sont très proches, le copal étant plus tendre que l’ambre, et seule une analyse scientifique peut les différencier avec certitude. Que cela soit volontaire ou pas, les deux matériaux sont souvent confondus (les « ambres » mexicains ou indiens, par exemple, sont des copals).
Sur la première photo de l’article, les grosses boules sombres sont en copal.
Les bracelets du Djebel Bani
Le Djebel Bani, c’est la toute dernière montagne avant le Sahara, qu’on franchit quand on va de Zagora à M’hamid. C’est déjà très désertique, aride, caillouteux… et ce fut un chemin de nomadisme évident, non seulement pour les tribus, mais aussi pour les caravanes qui partaient sur la route de l’or et des ivoires, vers Tombouctou.
Cet ensemble de cinq bracelets, avec sa variété, est typique de l’art berbère. En particulier, on fabrique encore aujourd’hui les bracelets du bas, en argent émaillé, orné de cabochons en verre sertis dans une couronne en argent.
Les deux bracelets du haut sont moins courants. En particulier, celui de droite, avec ces ornements en forme de polyèdre. Ceux-ci n’étaient pas seulement décoratifs : le bracelet est lourd, et une femme attaquée pouvait simplement, d’un large mouvement de son bras, étourdir ou même fracasser la tempe de son adversaire !
L’ensemble est estimé entre 200 et 250 € soit à peine 50 € par bracelet !
Les fibules de Tiznit
Presque inutile de le redire, mais Tiznit est la capitale de la bijouterie d’argent au Maroc. Il s’est développé dans cette ville aux frontière du grand Sud un artisanat de qualité, qui évolue aujourd’hui encore avec exigence.
Une grande boucle de ceinture originaire d’Essaouira
On passe à une autre région et un autre style.
Essaouira, l’ancienne Mogador, a longtemps eu un statut spécial au Maroc. Au moment où le pays s’est refermé sur lui-même, devenant difficile d’accès aux étrangers, Essaouira est resté ouvert. Les « Marchands du Roi », les Toujjar Es-Sultan, juifs et commerçants, faisaient à la fois leur richesse, celle de la vie et celle du Royaume dans un des seuls ports ouverts.
Le fermoir, au centre, forme une fleur à six pétales, avec un gros coeur rond. C’est ce qu’on appelle la « Rose de Mogador« , typique de la bijouterie juive d’Essaouira, comme les doubles palmettes, en haut.
La boucle est arrondie, ce qui lui donne son nom imagé « Ferkoun« , qui veut dire « en tortue« . Beaucoup de bijoux du Maghreb porte un nom animalier, tortue, dent de chameau…
Elle est, comme cela se pratique beaucoup, ornée de pièces d’argent qui ne permettent pas non plus de dater le bijou avec précision : elles peuvent être largement antérieures, ou, au contraire, avoir été rajoutées ultérieurement, en remplacement.
Très travaillée, très grande (29 centimètres de hauteur) ce bijou de cérémonie, destiné à fermer la ceinture d’un caftan, est estimé entre 400 et 600 €.
Je vous invite vivement, si cela vous intéresse, à aller voir le catalogue en ligne de la vente, sur le site de Rémy Le Fur, dont sont tirées toutes les photos de bijoux
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